L’actualité récente nous a appris qu’en matière de boules puantes, les limites peuvent être sans arrêt repoussées !
Essayons de reconstituer la formule chimique de ces petits objets anodins, que l’on lance sous les pas des gens que l’on veut détruire …
Prenons un cas concret
Le 02/07/2014, Nicolas Sarkozy s’est laissé interviewer par Elkabbach et Gilles Bouleau, Au cours de cette interview, il dit que :
» […] Parce que voyez-vous, envers et contre tout, je crois dans l’honnêteté et l’impartialité des magistrats dans notre pays. […] Ne confondons pas une minorité militante et les magistrats. »
Ça n’empêchera pas une majorité de politiciens de lui reprocher de « Vilipender l’institution judiciaire ».
Pire, à propos du trafic d’influence dont on l’accuse, Nicolas Sarkozy dit également, :
« Parlons du fond du dossier. Monsieur Azibert était candidat à un poste à Monaco. Il ne l’a pas eu. Mon avocat, Thierry Herzog, m’a demandé si je pouvais me renseigner pour faire une démarche auprès de Monaco.
Je n’ai pas fait cette démarche, c’est dans le dossier, c’est prouvé. Le palais de Monaco a indiqué qu’il n’y a eu aucune démarche en faveur de monsieur Azibert. Et par ailleurs, il existe une écoute – qui elle n’a pas fuité dans la presse, on se demande bien pourquoi… – où je dis à Thierry Herzog : « non, je ne ferai pas l’intervention »
Et surprise ! Le journal le Monde diffuse la retranscription d’une écoute dans laquelle Nicolas Sarkozy dit à son avocat :
« (écoute téléphonique de NS:) Tu peux lui dire que je vais faire la démarche auprès du ministre d’Etat demain ou après-demain »
Et en mode mineur, une seconde écoute très peu commentée par la presse :
« (écoute téléphonique de NS:) J’ai trouvé que ça ferait un peu ridicule donc j’ai préféré ne pas en parler »
Et tout le monde de s’écrier que Nicolas Sarkozy a menti !!
On commence à mieux comprendre comment fabriquer une boule puante ; les composants chimiques de base sont :
- Une accusation (ici le trafic d’influence),
- La diffusion par voie de presse d’informations invérifiables (ici issue de la violation du secret de l’instruction),
- L’usage intensif de la diffamation.
Démontons cet exemple sur le plan juridique :
Du trafic d’influence :
Il est réprimé par l’article 432-11 du Code Pénal qui dispose :
« Est puni de dix ans d’emprisonnement et d’une amende de 1 000 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction, le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public, ou investie d’un mandat électif public, de solliciter ou d’agréer, sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques pour elle-même ou pour autrui […] « .
Beaucoup de personnes lisent scrupuleusement le texte pour en déduire que la simple promesse d’un poste à Monaco à Monsieur Azibert permet de condamner Nicolas Sarkozy (et c’est exact !).
Ces mêmes personnes lisent rarement le texte jusqu’au bout pour conclure que par nature, Nicolas Sarkozy ne peut plus être accusé de trafic d’influence, car comme vous l’aurez sans doute noté, Nicolas Sarkozy n’est plus dépositaire d’une quelconque autorité publique depuis deux ans …
Je me demande bien comment les juges vont faire pour tordre le texte, et le rendre applicable à l’ancien Président de la République !
Du secret de l’instruction (vu du côté des magistrats) :
En matière pénale, le secret de l’instruction est définie à l’article 11 du Code de Procédure Pénale :
« Sauf dans le cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l’enquête et de l’instruction est secrète.
Toute personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel dans les conditions et sous les peines des articles 226-13 et 226-14 du code pénal. »
En matière civile, il n’y a pas à proprement parler d’instruction mais l’article 448 du Code de Procédure Civile dispose que : « Les délibérations des juges sont secrètes ».
Ceci signifie que lorsque des éléments de l’instruction ou les attendus des délibérations « fuitent » dans la presse, alors sauf cas particulier, les magistrats se rendent coupables d’une violation du secret de l’instruction réprimée par l’article 226-13 du code pénal :
« La révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. »
Comme vous le voyez, ça ne rigole pas vraiment !
Du secret de l’instruction (vu du côté des journalistes) :
La loi du 29 Juillet 1881, relative à la liberté de la presse, institue et codifie la liberté d’expression.
Le principe est que la liberté d’expression existe par défaut, sauf dans un certains nombre de cas (tels que la révélation de données concernant des mineurs, susceptibles de remettre en cause la présomption d’innocence, ou certains autres cas …).
Parmi les autres exceptions, la publication avant une décision de justice, de commentaires tendant à exercer des pressions pour influencer les déclarations des témoins ou la décision des juridictions d’instruction ou de jugement est interdite (article 434-16 Code pénal).
S’agissant des informations relatives à une instruction en cours, et bien que les journalistes ne soient généralement pas les « acteurs principaux » de la violation du secret de l’instruction, la jurisprudence nous enseigne qu’ils peuvent être poursuivis pour complicité de violation du secret de l’instruction ou recel de documents couverts par celui-ci.
Donc, contrairement à ce qu’indiquent souvent les journalistes, ils peuvent donc être condamnés en diffusant des informations relevant du secret de l’instruction, surtout si l’intention de nuire est manifeste.
De la diffamation :
En France, la diffamation est une infraction pénale découlant de « l’allégation ou l’imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne à laquelle le fait est imputé ». En l’absence de faits imputés, il s’agit d’une injure.
Donc, dire que quelqu’un a dit publiquement quelque chose de malséant, alors qu’il ne l’a pas dit, c’est de la diffamation.
La diffamation est punissable d’une amende de 12 000 €.
Si Alain Juppé (par exemple) disait publiquement que Nicolas Sarkozy dans son interview a vilipendé l’institution judiciaire, il se rendrait coupable de diffamation.
Sauf qu’Alain Juppé, en vieux routier de la politique, a formulé cette diffamation de telle sorte que tout le monde la comprenne bien, sauf qu’il ne l’a pas formellement prononcée ! (écoutez la, ça vaut le coup !)
La diffamation est donc aussi un art !
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En conclusion
Nous avons ainsi reconstitué la formule chimique d’une boule puante, c’est :
- Un délit ou un crime qui n’en n’est pas un …
- Des diffamations formulées de façon habile !
- Des magistrats qui laissent fuiter des informations sensibles,
- La presse qui diffuse les dites informations sensibles au nom de la liberté d’expression.
Voilà ! Comme vous le voyez, ça ne sent vraiment pas bon !